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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 23:23

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Jacques Poliéri est décédé brusquement le 16 décembre dernier à l’âge de 83 ans, d’une rupture d’anévrisme. Venu de Toulouse à Paris en 1947, il a débuté au théâtre comme   comédien dans La Colline de vie, pièce de Max Zweig, dans des décors de  Walter Spitzer au Théâtre Edouard VII, puis il a beaucoup joué, notamment en 1950 dans Le Gardien du tombeau de Franz Kafka, mise en scène de Jean-Marie Serreau, au Poche Montparnasse ou dans La Grande et la Petite Manœuvre d'Arthur Adamov, mise en scène de Roger Blin au Théâtre des Noctambules, dans une scénographie de Jacques Noël. En 1949, il met en scène La Cantate pour trois voix de Paul Claudel au Centre culturel de Royaumont, puis en 1953, au Théâtre de la Huchette, sept petits sketches de Ionesco dans des décors de Georges Annenkov (1889-1974). Jean Tardieu sera son auteur de prédilection avec trois spectacles qui font découvrir cet auteur, Poliéri créant La sonate et les trois messieurs, La Politesse inutile, Qui est là ?, La Serrure, Le Guichet et la Société Apollon (1955), Une voix sans personne, pièce sans acteurs qui provoquera un scandale dans la presse, présentée avec Hiver ou Les temps du verbe (1956), L'ABC de notre vie, Rythme à trois temps et la reprise de La sonate et les trois messieurs (1959).

 

Cette volonté farouche de s’inscrire dans l’avant-garde l’amène à fonder en 1956 avec Le Corbusier le premier festival de l’avant-garde à la Cité radieuse de Marseille, dont la deuxième édition se tient l’année suivante à Rezé près de Nantes dans une autre Cité radieuse et la troisième édition se déroule à Paris en 1960. Adepte de la convergence des arts, il s’est depuis toujours intéressé à la peinture abstraite, et à l’abstraction en général. Il était proche de Jean-Michel Atlan (1913-1960) peintre de l’art informel, abstraction lyrique française, qui réalisa en 1959 trois séries de neuf pastels pour un texte de Poliéri, ensemble qui sera publié en 2008 aux Editions Hazan sous le titre Topologies, titre évocateur d’une des thématiques actives chez ces deux artistes autodidactes, épris de signes, d’espaces et de lieux, mais aussi de rites et de légendes. Poliéri publiera en 1996 avec Camille et Denise Atlan chez Gallimard le catalogue complet de l’œuvre d’Atlan.

 
Pour la réalisation en 1959 d’Un coup de dés jamais n'abolira le hasard poème polyphonique de Mallarmé, il dispose les acteurs et les éclairages sur la scène et dans la salle afin de traduire la mise en page et la typographie du poème, avec l’idée de créer une action stéréophonique et polyvisuelle. Les images projetées ou les films, les diffusions sonores reprennent en contrepoint certaines parties du texte, l'action occupant les points diagonaux du théâtre (salle et scène à la fois, reliées entre elles par des rapports imprévus et des interactions). Il monte Le Livre de Mallarmé en 1967. Il systématisera auparavant cette recherche dans Gamme de 7 en 1964 (création) et 1967 (reprise), expérimentant une scénographie et une sémiographie, élémentaire et complexe, conçues comme une « orchestration spatiale ». L'action se déroule simultanément sur plusieurs types de scènes : une scène frontale, une triple scène circulaire, plusieurs petites scènes secondaires et une scène occupant l'ensemble des trois dimensions de la salle, immergeant le spectateur dans la représentation. A ces huit scènes physiques s’adjoint une neuvième, virtuelle, qui est une image géante avec l’utilisation de caméras électroniques couleurs et, pour la projection, d’un eidophore, ancêtre du vidéoprojecteur. Il  entend décomposer et combiner à l’infini les modes d’expression humaine : voix parlée, voix chantée, geste dansé, geste mimé en associant acteur, chanteur, danseur, mime.


Parallèlement à cette activité artistique, il mène une recherche documentaire et théorique, qui le conduit à de nombreuses publications et participations à des colloques. Il entend incarner une « scénographie moderne », dans la filiation de l’avant-garde du début du siècle, une scénographie généralisée. A cet égard, la publication en novembre 1963 de Scénographie nouvelle, aux éditions Architecture d'aujourd'hui est une initiative qui fait date dans l’émergence de ce terme. Cet ouvrage sera  réédité en 1990 (éditions Jean Michel Place) sous le titre Scénographie : Théâtre Cinéma Télévision. La publication en 1971 de Sémiographie-scénographie cristallise sa trajectoire tant artistique que théorique depuis 1950 : la scénographie devient sa propre fin, contenu et contenant indissolublement liés.


Naturellement, ses conceptions l’ont amené à s’intéresser à l’architecture théâtrale et à la remise en question du lieu scénique, autour du concept de théâtre du mouvement total, plaçant les spectateurs au cœur de la sphère, dont les premières esquisses datent de 1957, formalisées avec l’architecte italien Enzo Venturelli en 1958 et avec les frères Vago en 1962, dont il proposera une version à Osaka en 1970 lors de l’Exposition universelle. Cette formalisation architecturale interagit avec ses mises en scène dans des dispositifs simultanéistes. Dans cette dynamique, il pourra avec André Wogenscky en 1968 construire un théâtre mobile à scène annulaire pour la Maison de la Culture de Grenoble, dont il avait proposé un prototype à la porte de Versailles pour le 3ème Festival de l’Avant-garde, mettant en scène dans cet espace Rythmes et Images du critique d’art Pierre Volboudt. Malheureusement cette salle a été détruite lors de la rénovation de la Maison de la Culture en  2004.


Son attrait pour les jeux de combinaison, son goût à la fois pour la règle et l’aléatoire, l’amènent à publier en 1981 Jeu(x) de communication aux éditions Denoël, à Paris, grammaire spatio-temporelle formelle qui reflète son évolution vers le monde de la communication, via la vidéotransmission. Le développement d’internet donnera un nouvel élan à la sphère imaginaire de Poliéri et à son idée d’une scénographie virtuelle électronique dont il a entrevu la possibilité dès l’apparition de la télévision : « Des actions se déroulant à de très grandes distances les unes des autres pourront également être envisagées grâce aux télé-techniques » (Scénographie de l'image électronique, 1963).

 

Michel Corvin lui a consacré un ouvrage complet en 1998,  Poliéri, une passion visionnaire. Une exposition en 2002, Polieri, Créateur d'une scénographie moderne, suivie d’un colloque (Autour de Jacques Polieri, Scénographie et technologie, Edition Bibliothèque Nationale de France, actes publiés en 2004) à la Bibliothèque nationale de France à qui il a fait don de ses oeuvres, a su donner à ce défricheur la place qui est la sienne. Venu du théâtre, il l’a quitté ; proche de peintres, il s’est identifié à leur quête vers l’abstraction ; avide de découvertes technologiques, il s’est épris de la liberté que semblait apporter le monde numérique, finissant sa vie à imaginer des jeux planétaires ; il a étendu le sens du mot scénographie en en faisant une écriture de l’espace dématérialisé et délocalisé, ouverte à une sémiographie universelle, dont il a cherché sans cesse la clé et le sens, fondant à travers sa figure enjouée et énigmatique sa propre légende.


http://www.jacquespolieri.com/

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