Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rechercher

30 décembre 2011 5 30 /12 /décembre /2011 22:40

SoleilFracassetheatre2.jpg

Roberto Moscoso, Esquisse pour Capitaine Fracasse, 1965

 

Robert Moscoso vient de partir, sans bruit, en cette fin 2011, une année s'achève, une page se tourne. Né en Italie en 1943, il vit à Rome jusqu'en 1959. Il vient ensuite à Paris achever sa formation théâtrale à l'Ecole de la rue Blanche, Centre d'apprentissage d'art dramatique et des techniques théâtrales, puis à la Communauté Théâtrale de Raymond Rouleau. Il contribue en 1964 avec Ariane Mnouchkine, Philippe Léotard, Martine Frank, Myrrha Donzenac, Françoise Tournafond, Gérard Hardy et Jean Pierre Tailhade, à la fondation du Théâtre du Soleil, dont il fut le premier scénographe, créant les décors et les costumes des Petits Bourgeois de Maxime Gorki en novembre 1964, un intérieur feutré, à la  MJC de la Porte de Montreuil (Paris), puis les décors (avec Françoise Tournafond pour les costumes qui vient elle aussi de disparaître, un malheur n'arrivant jamais seul selon le dicton populaire) pour Le Capitaine Fracasse de Philippe Léotard d'après Théophile Gautier, créé le 21 janvier 1966 au Théâtre Récamier (Paris). Il enchainera avec la troupe les créations mémorables que sont en 1967 La Cuisine d’Arnold Wesker, en 1968 Le Songe d'une nuit d'été d'après William Shakespeare, en 1969 Les Clowns, création collective, puis investissant la Cartoucherie de Vincennes en 1970, 1789 et en  1972, 1793. Effervescence joyeuse d'un théâtre populaire!


Après son départ du Soleil, il travailla étroitement avec Jean-Claude Penchenat qui a créé en 1975 le Théâtre du Campagnol, de 1978 (L’Epreuve de Marivaux)  à 2007 (Carola de Jean Renoir), mais aussi avec tant d’autres metteurs en scène, toujours ouvert à toutes les aventures : Dominique Houdart (en 1967 pour Le Ravissement de Scapin et L’Ours et la lune de Paul Claudel), Marcelle Tassencourt, Stéphane Meldegg, Catherine Dasté, Mehmet Ulusoy (L'Enterrement du patron de Dario Fo en 1979), Benno Besson, Valérie Grail, Catherine Bergé, Charles Joris, Françoise Pillet, Jean-Pierre Tailhade, Christophe Rauck, Kester Lovelace ou Maurice Galland qui fut le directeur technique du Campagnol.


Il a réalisé récemment l’étude scénographique d’un Salon de musique, kiosque démontable conçu pour le producteur de musique traditionnelle Mathieu Hagène. Sa dernière création Notre Terre qui êtes aux cieux en 2009 au Centre d'Astronomie de Saint-Michel l'Observatoire, spectacle conçu par Jean-Louis Heudier, astronome, directeur de l'Observatoire de Nice et  Maurice Galland, metteur en scène et directeur du Théâtre Libre à Saint-Etienne (fondé en 1998) est encore en tournée pendant la saison 2011-2012.


Marie-Louise Bablet et Denis Bablet ont décrit en 1979 dans leur ouvrage Le Théâtre du Soleil ou la quête du bonheur (Editions du CNRS), l’heureux décor qu’il a conçu pour Les Clowns et qui fut salué pour sa justesse de goût : « Une boîte de lumière, tel est le décor ingénieux inventé par Roberto Moscoso pour faire évoluer Les Clowns au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers : décor-boîte, boutique de foire ponctuée d’un millier d’ampoules clignotantes : "kitsch" des arts populaires mexicains, des paillettes, du papier de chocolat coloré, des panneaux peints à l’ancienne, des rideaux de perles, des miroirs au tin légèrement terni, raffinement dans le choix des tons et des matières : un clinquant "distingué", un art décoratif fait pour attirer, pour plaire. Ambiance de fête foraine dans un kaléidoscope où se reflètent, en flou, les images des acteurs. En permanence, côté cour, un petit orchestre de comédiens-musiciens : les clowns viennent à tour de rôle faire leur numéro, s’appuyant sur le minimum d’accessoires. Des clowns arrachés à la tristesse du cirque. Spectacle ambigu et polyvalent où se mêlent tradition et modernisme, théâtre et cirque, théâtre à l’italienne et théâtre japonais. Car si la "boîte" instaure un rapport traditionnel entre public et spectateurs, un rapport frontal, la passerelle qui traverse la salle, inspirée du "hanamitchi" japonais et suggérée par Ariane Mnouchkine, tente de casser cette césure ». Ce décor lui ressemblait par son ambivalence....Si Roberto Moscoso aimait la belle image, il ne la concevait que si elle accomplissait les impératifs fonctionnels de la scène, et son amour des matières chatoyantes relevait de sa quête de la perfection et de son souci du détail.

 

Il y avait aussi son sens collectif de l'espace et du jeu. L’histoire de la scénographie pour 1789 est connue : à l’origine, le dispositif scénique de tréteaux avait été pensé selon les dimensions d’un terrain de basket. La troupe n’avait pas de lieu fixe de représentation. Le choix de ces dimensions était fait pour faciliter la tournée : toutes les villes ont un terrain de basket.  Cet espace aux dimensions homologuées, donc stables, permettait de disposer le public de deux façons : dans les gradins, avec une vue d’ensemble, et au milieu des tréteaux, sur l’aire de jeu. Cela permettait de retrouver une certaine équivalence avec les rapports du théâtre de foire sur les places de  marché des villes médiévales. Les bateleurs s’installaient sur la place, le public populaire se massait autour du tréteau, tandis que les fenêtres des maisons bourgeoises donnaient un autre point de vue. Après de premières répétitions au Palais des Sports de la porte de Versailles, finalement, les répétitions se poursuivirent fin août 1970 à la Cartoucherie, et le lieu fut investi selon les principes fonctionnels retenus pour ce spectacle. Roberto Moscoso avait comme à son habitude proposé de nombreux croquis d’ambiance, précis et évocateurs, de cette implantation collective. Après la création à Milan en novembre 1970, le spectacle fut repris à Paris, non pas sur un terrain de basket, mais à la Cartoucherie inaugurant ce qui va devenir un lieu de légende. On retrouve nombre de ces croquis sur le site du Théâtre du Soleil.


Particulièrement attaché à l’univers de Jean Renoir, cinéaste mais aussi écrivain passionné de théâtre, Jean-Claude Penchenat a monté en 2007 la pièce de Renoir, écrite en 1957 Carola (qui a inspiré François Truffaut pour son film Le dernier métro). Carola est une actrice célèbre, aimée de trois hommes : un jeune résistant traqué par la gestapo, un général allemand et le directeur du théâtre, collaborateur. La scène se situe dans sa loge, lieu clos avec une seule porte. Roberto Moscoso et Françoise Tournafond en signent l’un le décor et l’autre les costumes, dernière œuvre commune…. La pièce est présentée au Théâtre des Quartiers d'Ivry, au Théâtre de l'Épée de Bois à la Cartoucherie, au Théâtre de l'Ouest Parisien et au Théâtre National de Nice. Destinées fécondes où les fils se croisent sans cesse.


Dessinateur hors pair, « à l’italienne », Roberto Moscoso avait le brio, l’élégance et le brillant du geste, toujours dans une équation parfaite avec le projet dramatique, précieux et précis. Affable et généreux, il a suivi son chemin sans détours, avec distinction. Qu’il ne soit pas oublié…

 

Partager cet article
Repost0

commentaires