Conférence de François Delarozière (compagnie de théâtre de rue La Machine) à l'Institut Français le 20 avril
Initiées par José Manuel Castanheira et le Département Scénographie de la Faculté d’architecture, les Rencontres internationales de scénographie SCENA LISBOA 2012 se déroulent actuellement, jusqu'au 5 mai 2012, à Lisbonne au Portugal. Avec un programme varié de conférences, de débats, de workshops, d'expositions, ces rencontres constituent une initiative exemplaire dans un pays où les politiques économiques touchent de plein fouet le secteur culturel avec l'argument de réduire les dépenses publiques. Une des initiatives originales de ces Rencontres est l’ouverture d’un Café-Scéno dénommé CaféSCENA@Chiado, lieu étonnant, près du Teatro Trindade, rua da Misericordia (cela ne s’invente pas...). Il se situe en effet dans un café de style 1900, au sein d’un centre commercial aménagé dans les murs d’un théâtre qui a été totalement détruit et restructuré : marbres rutilants, clinquant des galeries commerciales, boite de nuit panoramique. Comme la plupart des commerces, le café est désormais fermé, signe d’un échec total de ce centre commercial, seul le night-club persiste… Le café a réouvert pour la durée des Rencontres, et en devenir le lieu de rendez-vous quotidien.
De gauche à droite au CaféSCENA@Chiado, Rui Francisco, João Brites, António Casimiro, Filipa Malva, José Manuel Castanheira, João Mendes Ribeiro, Ana Paula Rocha et Marta Carreiras.
Quelques rappels sont nécessaires : le président du Parti social-démocrate (centre-droit) Pedro Passos Coelho, qui a largement remporté les élections législatives en juin 2011, met en œuvre comme Premier ministre une politique drastique d’austérité et de rigueur faisant beaucoup plus que ce qu’il avait initialement annoncé, en accentuant les coupes dans les aides sociales, le gel des salaires et pensions, la suppression d'exemptions fiscales, les privatisations, la réduction substantielle des budgets de la santé, de l'éducation, de la culture, la réforme du marché du travail, de la justice, de l'éducation. Pedro Passos Coelho a assuré pour apaiser les marchés que son pays ne serait pas «un fardeau» pour ses créanciers. Il se donne pour objectif de faire passer le déficit de 9,1 % du PIB, en 2010, à 3 % en 2013! Le Portugal est le premier pays de l'UE à avoir ratifié par voie parlementaire en avril 2012 le pacte budgétaire européen qui fait de la discipline et de la rigueur les principaux instruments pour lutter contre la crise de la dette. Sacrifices et forte récession, sont la conséquence de cette politique zélée dont il restera à évaluer l’efficacité réelle. Cette politique a pour effet un amoindrissement de l’action en faveur de la culture : ce secteur ne bénéficie que d’un secrétariat d’Etat, fonction tenue par le journaliste et écrivain Francisco José Viegas, et fait l’objet de sévères coupes.
Le contexte politique, économique et social a été omniprésent, non sans humour, lors de la table ronde Conversation entre scénographes qui a réuni le 20 avril au CaféSCENA@Chiado, Rui Francisco, João Brites, António Casimiro, Filipa Malva, José Manuel Castanheira, João Mendes Ribeiro, Ana Paula Rocha et Marta Carreiras, sans pour autant paralyser la pensée et la discussion autour de la scénographie, discussion vive et alerte. Plusieurs thèmes se sont dégagés. Tout d’abord, la situation économique du Portugal qui conduit à une extrême mise en difficulté du monde théâtral portugais, ce qui se traduit particulièrement par une baisse considérable des moyens consacrés à la scénographie des spectacles. Une alternative pour résister à cette situation est le recyclage des matériaux, des matériels, des décors et des costumes.
L’époque actuelle ne peut qu’être mise en perspective avec un cours plus lointain de l’histoire du Portugal après la Révolution des capitaines d’avril en 1974, célébrée le 25 avril 2012. La richesse et la vitalité du théâtre portugais fertilisé par cet événement (O Bando, autour de João Brites, A Cornucópia autour de Luis Miguel Cintra, Teatro Experimental de Cascais, A Comuna autour de João Mota - devenu le directeur du Teatro Nacional Dona Maria II -, O Novo Grupo autour de João Lourenço, A Malaposta autour de José Peixoto, Cendrev autour de Mário Barradas et Luís Varela, A Companhia de Teatro de Almada autour de Joaquim Benite, ou des personnalités atypiques comme Rogério de Carvalho, etc.) a fait de l’histoire au sein de la grande Histoire, le cœur de toutes les actions, oscillant entre fiction et réalité. 2012 marque un coup d’arrêt de ces théâtres du monde, et la place du théâtre devient alors une question de résistance.
Au-delà des différences esthétiques, les débats ont fait ressortir la communauté d’une même langue scénographique, témoignage de l’importance vitale de l’espace dans l’expression dramatique. Vitale, car elle comporte l’enjeu du rapport au public, à la société, à la ville, quel que soit ce rapport, frontal ou immersif. De même, la scénographie semble plus encline à instaurer une atmosphère, une ambiance, qu’à vouloir imposer un message fermé. Tout cela opère dans une dynamique collective : travail en équipe, accompagnement, mise en mouvement. Une dernière remarque : la féminisation de ce métier qui entend se rassembler au Portugal avec la fondation de l’Associação Portuguesa des Cenografia, parrainée par l’Union des Scénographes.
SCENALISBOA est réalisé en partenariat avec l'Institut Français du Portugal, Grão Pará Hotel Group et le Soutien de l'Institut Cervantes,
du Teatro Nacional de S. Carlos, du Teatro o Bando, du Teatro Municipal de Almada entre autres.
La hasard d ela programmation fait que du 26 avril au 28 avril, l'Institut Français du Portugal, soutien énergique des Rencontres, présente
par ailleurs dans son bel auditorium, « Faz escuro nos olhos » par le groupe Teatro Griot dans une mise en scène de Rogério de Carvalho: « Nous habitons un univers de voix. Nous
sommes bombardés par des voix incessantes. Nous devons ouvrir des passages, chaque jour, à travers une forêt de voix. Ce sont les voix des autres, les voix de la musique, et notre propre voix qui
s’y mêle. Toutes ces voix crient, susurrent, pleurent, caressent, menacent, implorent, séduisent, ordonnent, supplient, prient, confessent, terrorisent, déclarent… » Cette forêt de voix est
un beau symbole de l’initiative portugaise qui cherche à se faire entendre